Les écueils de la protection de l’Enfance

Par Maître Franz Achache, avocat référent.

Aujourd’hui, plusieurs départements tirent la sonnette d’alarme en raison de placements non exécutés, ruptures dans le parcours des enfants protégés, postes non pourvus, personnel pas assez qualifié pour prendre en charge les problématiques spécifiques d’enfants placés, foyers où les règles de sécurité ne sont pas respectées, difficulté à assurer le suivi médical des enfants en raison d’un manque de personnel etc.

Cette prise de conscience de la nécessité de se doter de structures d’accueil adaptées à hauteur de l’enjeu, comme le rappelle le législateur dans la Loi Taquet de févier 2022, qui entendait mettre fin à l’accueil hôtelier trop souvent sollicité pour ces jeunes, certes mis à l’abri temporairement, mais en réalité quasiment abandonnés à leur sort, est salutaire mais ressemble de plus en plus à un vœu pieux.

 Un livre blanc sur le travail social (https://solidarites.gouv.fr/livre-blanc-du-travail-social-2023) vient d’être remis au gouvernement et préconise notamment de revaloriser les salaires, qui sont très bas dans le secteur : un éducateur spécialisé (bac+3) est payé à peu près 1 600 euros nets en début de carrière, et 2 700 euros en fin de carrière, ce qui est peu attractif.

Les principaux écueils et problèmes du secteur, que l’on rencontre quasi systématiquement dans les dossiers en assistance éducative selon moi sont les suivants :

  •  La notion complètement arbitraire du mot « danger » utilisée dans le code civil.

Cette notion « fourre-tout » du danger est laissée à une appréciation subjective.

Combien d’audiences commencent par la lecture de rapports de l’ASE pointant des « motifs d’inquiétude » et un danger pour le mineur à rester avec ses parents.

Il n’est pas rare de lire dans des rapports sociaux que le danger est caractérisé par « un conflit parental », « une emprise maternelle » « un conflit de loyauté » autant de notions arbitraires qui aboutissent à des dérives gravissimes privant enfants et parents du droit fondamental de vivre ensemble.

Pour rappel le « Syndrome d’Aliénation Parentale » très à la mode à une certaine période, pouvait être invoqué pour retirer un enfant à ses parents et dans des cas de conflits entre la mère et le père pour la garde de l’enfant, son influence reste pregnante dans le choix du Juge de confier le mineur au père.

Pourquoi ne pas revenir au mot « maltraitance » ? La maltraitance peut, elle, être définie de manière bien plus concrète et devrait être le seul critère permettant de retirer ses parents à un enfant.

Le Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) en donne d’ailleurs une définition assez précise : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045135272.

  •  La conception quasi religieuse que le placement est une mesure idéale de ‘protection effective de l’enfant’ : le Juge des Enfants a tendance à placer un enfant (en foyer ou dans une famille d’accueil) au moindre soupçon de danger, sans jamais vérifier par lui-même les conditions du placement ou la possibilité d’une mesure moins rigide, comme une AEMO ou un PEAD (placement éducatif à domicile), essentiellement par manque de personnel, ou par conviction qu’il faut ‘séparer l’enfant de ses parents vite et radicalement’.

Le nombre d’enfants placés connait une véritable embolie actuellement puisque 170.000 enfants étaient placés en 2020 dont 65% à la suite d’une décision judiciaire (https://www.lemonde.fr/blog/jprosen/2023/02/19/laide-sociale-a-lenfance-a-lepreuve-des-chiffres/).

  •  La multiplication des acteurs du secteur les amène à se renvoyer sans cesse la balle, notamment dans les départements où la mobilisation des services de l’État est faible, ce qui empêche une bonne application concrète des mesures de protection.
  •  Le recours à des entreprises privées : La protection de l’Enfance ne devrait souffrir d’aucun enjeu financier, or en faisant appel à des associations privées qui sont très grassement rémunérées, l’ASE fait naître un enjeu économique de taille au détriment de nos enfants.
  • le turnover constant du personnel : on estime que 40% des structures de protection de l’enfance feraient appel à l’intérim et malgré cela ces structures ont un taux moyen de 10% de postes non-pourvus, ce qui pose un triple problème :
    • Un intérimaire coûte plus de 50% plus cher qu’un CDD ;
    • Le turnover insécurise les enfants qui souffrent et perdent le peu de repères sociaux dont ils disposent notamment lors des placements en foyer ;
    • Les éducateurs n’ont plus le temps d’accompagner les jeunes et de leur fournir le suivi éducatif dont ils ont besoin (et qui est pourtant prévu par le Juge des Enfants lorsqu’ils sont placés). Cela se traduit en pratique puisque beaucoup de parents se plaignent que leur enfant n’a pas honoré tel rdv médical chez un spécialiste, n’a pas été inscrit à telle activité extrascolaire, n’a pas de suivi médical régulier, ne mange pas assez tel aliment dont l’enfant a besoin etc.
  •  le manque de personnel compétent pour traiter les problèmes psychiatriques ou psychologiques des jeunes : C’est un domaine où beaucoup de jeunes ont soit des parcours de vie chaotiques soit vivent un choc en raison de ladite mesure de protection.

Quoi qu’il en soit ils ont très souvent besoin d’un suivi psychologique ou psychiatrique.

Pour donner un exemple, une responsable d’Enfance et Famille d’Adoption dans l’Ain estimait récemment que 80% des jeunes suivis dans son département prenaient un traitement pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques.

Le problème est ce manque cruel de personnel ayant des qualifications pour gérer ces jeunes qui ont besoin d’un suivi particulier et spécifique.

  •  le manque de moyens des foyers : Aujourd’hui, lorsque j’entends les Juges des Enfants expliquer le choix d’un placement en foyer, ou lorsque l’ASE fournit les comptes-rendus desdits placements, on a l’impression qu’il s’agit de vacances au Club Med.

Alors que les enfants qui se confient (surtout à leurs parents) racontent à quel point c’est difficile psychologiquement, comment l’intimité est illusoire, les habitudes impossibles à maintenir, le lien social extrêmement compliqué, sans compter les problèmes cités supra de manque de moyens qui impliquent une qualité de nourriture aléatoire, peu d’activité/rdv qui seraient situés à une distance même courte du foyer (tout doit être à proximité).

  •  l’absence de contrôle : Où vont les 9 milliard d’euros ?   Il est scandaleux de constater qu’avec un budget de 9,1 milliards d’euros (chiffre de la Drees – https://www.lagazettedescommunes.com/883133/protection-de-lenfance-en-20-ans-les-depenses-departementales-ont-double/), de nombreux foyers sont des lieux de déperdition, d’errance sociale, voire de maltraitance institutionnelle pour certains cas résiduels. Il est temps de créer un organe de surveillance chargé de contrôler de façon effective, et pour cela des visites bimensuelles des foyers sont indispensables.

12 Commentaires sur “Les écueils de la protection de l’Enfance

  1. Véronique Le joncour says:

    Maman de 2 enfants qui a fait la connaissance des services éducatifs après enquête judiciaire désastreuse par le même organisme privé appelé « la sauvegarde 56 ».
    Les propos de mes enfants ont été déformés pour coller à leurs mensonges…
    Je souhaiterais pouvoir faire une action pour que ces agissements cessent.
    Pouvez-vous m’aider ? J’ai des preuves à apporter

  2. Bollengier Franck says:

    Il semble que rien ne bouge dans cette institution du monde de l’ASE. Trente ans que j’en suis sorti, victime de ce système, la pire honte de notre État de tous les temps, qui dit protéger ses enfants alors que dans les faits il n’en est rien. Bravo pour cet article!

  3. Véronique Sebire says:

    Les enfants sont descolarisés
    Il.ny à pas un.manque de moyens ou va l’argent ? Peut on proposer la nomination d’un médiateur externe à l ase dans chaque département qui recevrait les familles qui le souhaitent?

  4. Corinne wanner says:

    Il y a d autres alternatives aux placements retour avant tout dans les familles proches susceptibles d accueillir les enfants. bienveillance

  5. TERRIER says:

    Nous sommes des grands parents dévastés devant la violence avec laquelle notre petite Charline, 7ans, a été emmenée à 22 h entre 5 gendarmes, pour être placée dans un foyer d’urgence ASE.
    Suite à un signalement, disant que Charline aurait été abusée par son frère aîné, Antoine 12 ans, autiste. Rapport mettant en cause les parents, alors qu’ils n’ont jamais rien constaté. Depuis leur convocation à la gendarmerie, ils ont mis en place des séances chez un psychologue pour les deux enfants. Antoine était suivi déjà par plusieurs spécialistes depuis sa plus tendre enfance. On ne peut donc pas parler de négligence des parents dans ce domaine. Antoine, scolarisé en 5 ème classe ULIS, a dû avoir accès à des images qu’il n’ aurait pas dû voir, sans doute avec le concours de camarades du collège, car chez lui tout est verrouillé, il ne possède pas de téléphone mobile.
    Charline va été ballottée de foyer en foyer, pas le droit de visite des parents, Gd parents. Sur le plan affectif c’est désastreux.Noel approche, elle sera absente. Ses parents sont dévastés par le chagrin, nous de même. Nous ne pouvons plus dormir.
    Nous souhaiterions obtenir la garde de Charline, elle pourra continuer ses activités sportives et culturelles, c’est une très bonne élève. Notre appartement est spacieux,avec 3 chambres. Nous sommes en bonne santé. Charline a l’habitude de venir chez nous en WE ou vacances. Nous habitons en montagne, elle fait du ski, randonnées, etc. Chose qu’elle ne fera plus si elle reste au foyer.
    Comment faire pour demander une requête au procureur. ? Quels termes employer ? Comment formuler notre demande ?
    Merci de votre réponse.

    • Marie says:

      Vous pouvez voir avec un avocat pour faire cette demande de Tiers digne de confiance.
      Il n’existe apparemment pas de formulaire Cerfa pour cette demande.

      Quelques idées :
      Dossier pour une demande de Tiers Digne de Confiance

      1. Donner quelques précisions sur votre structure familiale : actif ou retraité(e)s, marié(e)s, foyer avec enfant(s) sans trop de détails.
      2. Résumer l’historique de votre relation à l’enfant. avec éventuels justificatifs, votre histoire avec le jeune, son parcours (famille d’accueil, scolarité, sociabilité, etc.)
      3. Exposer les raisons pour lesquelles vous faites cette demande (continuité de la prise en charge, stabilité du jeune, son équilibre, etc.)
      4. Expliquer les conditions d’accueil du jeune, (maison, appartement chambre perso…)
      5. + Il faut obligatoirement apposer l’article 375-3 du code civil et écrire une partie du texte de cet article sinon la belle lettre part à la poubelle…
      + apporter en annexes des preuves concrètes des éléments avancés (copie de bail de location du logement, copie du contrat de travail, compte-rendu de visites avec l’enfant, échanges de courriers postaux avec l’enfant, etc.)

  6. Catherine Card says:

    Bonjour Maitre,
    Mamie, 65 ans… de 2 petits enfants, 10 et 13 ans.
    Une envie de faire un article sur les journaux … je pense simplement que les juges ne veulent jamais revenir sur leurs erreurs… comment une petite fille qui depuis l age de 5 ans ( elle en aura 11 le 1er janvier), demande à vivre près de sa maman. Elle a écrit au juge. Le président n a jamais reçu la lettre. Son frère qui a aujourd hui 13 ans a déjà fait 3 courriers sans être entendu… je pense simplement que la greffière qui est désagréable détourne les documents… déjà écrit à Charlotte Caudel puis à Dupont Moretti… ecrire au procureur (pas de reponse). Le 119 pour dénoncer que la petite avait écrit dans sa chambre qu elle veut se « sussider »… parce que la maman qui fait une demande tous les ans a encore un refus… la maman a perdu la garde parce qu un jour qu elle a puni son fils (10 ans) de telephone et il a claqué la porte en fuyant sous la colère. Peut on retire la garde pour cela ? Prevenof les journalistes ? Que risque t on ? Merci. Catherine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *