Marie VATON, l’auteur de ce livre, est journaliste à l’Obs où elle suit les sujets liés à l’enfance, au phénomène metoo et aux violences sexuelles.
Pendant deux ans, elle a enquêté sur le problème des enfants placés, elle tente dans ce livre de mieux comprendre le système opaque de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Dans son avant-propos, l’auteur précise que son enquête qui a duré deux ans a consisté à mieux saisir les rouages, le jargon particulier, le fonctionnement des différents organismes chargés de la protection de l’enfance.
Choquée par des faits divers rapportés dans la presse de décès d’enfants maltraités, elle a pu constater que « la maltraitance des enfants traversait toutes les générations, tous les milieux sociaux et commençait dans les familles ».
Selon un rapport de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE), en 2018 on dénombre 80 mineurs décédés après des violences familiales, d’où l’on peut conclure qu’un enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents.
En 2019, la police a recensé 7000 plaintes pour viols sur mineurs, soit un viol par heure.
Les travailleurs sociaux, devant l’ampleur de la tâche, se trouvent débordés et parfois impuissants.
Au cours de son enquête, l’auteur a dû se familiariser avec un jargon particulier, une langue de sigles qui cachent des situations de détresse extrême. Elle dénonce à ce sujet que « les sigles soient bien utiles pour dépersonnaliser l’indicible ».
Marie Vaton a pu écouter des éducateurs, assistants sociaux ou familiaux qui lui ont confié leurs doutes, leurs échecs mais aussi leurs espoirs.
Dès le début du livre, l’auteur rappelle le rôle de l’aide sociale l’enfance chargée d’intervenir auprès des familles lorsque « leurs conditions d’existence mettent en danger la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation des enfants ».
Mais son action se heurte à un manque crucial de moyens et de solutions d’hébergement. C’est particulièrement le cas dans le département du Nord, Pas-de-Calais ou Seine-Saint-Denis.
Dans ces régions, les travailleurs sociaux réclament davantage de moyens et dénoncent le sous-effectif chronique, le turn-over du personnel, parfois des évaluations bâclées dues à des contraintes budgétaires. « Les mesures éducatives doivent être privilégiées plutôt que les placements sur décision judiciaire » du fait de l’engorgement des tribunaux.
L’auteur rapporte dans de nombreux exemples illustrant son propos, le cas d’enfants maltraités par leurs parents pour lesquels ni la PMI (protection maternelle et infantile) ni les éducateurs de l’ASE (Aide sociale à l’Enfance) n’ont pu intervenir à temps avant que la situation de ces enfants empire.
Faute de personnel suffisant, notamment dans le 93, on constate parmi les travailleurs sociaux de nombreux cas de burn-out, car ils sont obligés « de se débrouiller » pour venir en aide aux familles.
« Les raisons budgétaires priment sur l’humain ». Les professionnels de l’aide pour l’enfance, les assistantes sociales en milieu scolaire, tous se sentent souvent délaissés alors qu’ils ont un rôle majeur de « garde-fou » dans nos sociétés.
Tout en s’appuyant sur des exemples concrets et des témoignages, l’auteur s’attache à mettre en lumière dans les chapitres suivants, les difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux amenés à apporter une assistance éducative aux familles.
Dans le cadre de l’AEMO (action éducative en milieu ouvert) ordonnée par le juge des enfants, les interventions sont assurées à 80% par le milieu associatif.
La difficulté pour les intervenants est de discerner au mieux les problèmes existant au sein des familles. Ils doivent évaluer avec justesse tous les aspects de la vie de l’enfant, qu’ils soient psychologiques, affectifs, sanitaires et matériels.
Les familles concernées sont en majorité des familles en situation de précarité. Le placement de l’enfant doit être décidé en dernier recours.
La mission d’évaluation est délicate car la moindre erreur d’interprétation peut induire des conséquences gravissimes. Les éducateurs sociaux ne doivent être ni trop bienveillants, ni trop intrusifs.
Ils sont confrontés à des situations complexes : alcoolisme des parents, violences conjugales, maladie mentale d’un des parents ou même pathologie de l’enfant.
Or, parfois « un père violent peut témoigner de l’amour à son enfant alors qu’une mère en apparence aimante peut se révéler d’une effroyable perversité », rapporte une éducatrice.
La diversité des situations et des conditions de vie des familles rendent la tâche des intervenants sociaux complexe et éprouvante.
L’auteur évoque le problème de l’inceste qui « nivelle tous les rapports dans une famille », elle les nomme des « familles magma » où le secret est bien gardé car chacun en est complice.
Dans certains départements il existe des services d’ »AEMO renforcée » destinés aux adolescents entre 13 et 18 ans, qui sont des espaces neutres, des sortes de passerelles entre un mineur et ses parents.
Dans ces foyers d’accueil, les adolescents suivent leur scolarité, tout en étant épaulés par les équipes de ces centres éducatifs.
Toutefois, les places manquent, les délais d’attente sont trop longs et dans certains départements, les impératifs budgétaires limitent le champ d’action des éducateurs sociaux.
L’auteur rappelle qu’en 2018, des juges pour enfants de Bobigny se sont mobilisés pour implorer l’Etat de réduire les délais d’application de leurs jugements.
Dans le département du Nord, les considérations budgétaires tendent à primer sur les moyens consacrés aux centres d’accueil, privant ainsi les enfants les plus fragilisés de structures adaptées.
L’auteur consacre ensuite un long chapitre au problème des foyers d’accueil, chapitre intitulé « dans l’enfer des foyers ». Elle mentionne un documentaire télévisé réalisé en 2019 sur le quotidien difficile des enfants placés, les abus et les brimades dont ils sont victimes par certains éducateurs.
Suite à un large mouvement de protestation, le gouvernement d’Edouard Philippe a décidé de recréer un poste de secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’Enfance.
Le secrétaire d’Etat à ce poste, Adrien Taquet, s’est engagé à « une stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance », mais le temps presse…..
D’anciens enfants placés, tels que Lyes Louffok que l’auteur a pu rencontrer, réclament « une agence nationale indépendante de contrôle pour les foyers et un fichier national de recensement des agréments pour les familles d’accueil ».
Dans les derniers chapitres, l’auteur s’intéresse au rôle des familles d’accueil, dans le cadre de mesures dites de « placement familial ».
Au-delà de l’image idéale d’une famille d’accueil unie et protectrice, l’auteur rappelle les difficultés rencontrées par les assistants familiaux qui se sentent souvent déconsidérés, épuisés et faisant l’objet de suspiscion.
Ils sont considérés comme des travailleurs sociaux, la plupart ont entre 55 et 65 ans et perçoivent une rémunération variable selon les départements.
Leur rôle est crucial, du fait du manque de place dans les foyers d’accueil et du coût élevé du placement dans les établissements spécialisés.
L’auteur évoque les déclarations en 2019 de la présidente de la Fédération des assistants familiaux, Michelle Babin, réclamant une réforme permettant une meilleure reconnaissance des assistants familiaux et une plus grande confiance à leur égard tout en rappelant la difficulté de leur tâche consistant à accueillir « des enfants fragilisés, maltraités, abîmés par la vie et parfois psychotiques ».
A travers le témoignage de Madeleine, assistante familiale, qui se sent considérée « comme une nounou améliorée », il parait essentiel qu’ils soient mieux informés sur le vécu et le passé des enfants accueillis et qu’ils ne soient plus tenus à l’écart des décisions de l’ASE (association sociale à l’enfance).
En outre, l’enfant est trop souvent contraint d’attendre un parent, un juge, un éducateur, un référent, une audience, ce qui renforce son sentiment d’insécurité et contribue à lui faire perdre tous ses repères.
Déplacés, ces enfants sont ensuite « dans l’incapacité de mettre en récit leur propre vie faute d’une figure permanente et fiable qui aurait pu le faire pour eux et avec eux ».
Evoquant le sujet des placements abusifs, souvent le fait de juges pour enfants « un peu trop zélés » l’auteur rappelle les conséquences graves que ces décisions peuvent induire pour les enfants concernés.
De manière à agir en amont du placement, depuis la réforme de 2007, les travailleurs sociaux ne doivent plus uniquement évaluer les risques qui pèsent sur les enfants mais aussi s’assurer de « la pleine collaboration des parents ».
En conclusion, dans ce livre l’auteur cherche à tirer un signal d’alarme sur le manque de moyens, la mauvaise coordination des services chargés de la protection de l’enfance, les problèmes de maltraitance en foyers ou en familles d’accueil, les trop longs délais d’application des jugements.
Marie Vaton estime que la protection de l’enfance reste délabrée et que le chantier pour la reconstruire semble titanesque.
Elle rappelle que les associations et les militants réclament depuis 2017 le rétablissement d’un ministère de l’Enfance. Elle déplore que les enfants placés soient victimes d’une double peine, puisqu’en cherchant à les protéger de leur famille, on les expose à subir « un continuum de violences, celle du système ».