L’ENFANCE AU COEUR A LU POUR VOUS
« Protéger la mère, c’est protéger l’enfant » par Edouard DURAND
L’auteur, Edouard DURAND, a été juge des enfants à Marseille et à Bobigny et a co-présidé avec Ernestine Ronai la commission violence du HCE. Il est co-fondateur et coordonnateur du DU « violences faites aux femmes » (Université Paris 8)..
Il préside la CIIVISE et tente de faire avancer la Cause des enfants (dénonce le SAP et l’incrimination systématique du parent protecteur qui dénonce l’inceste).
En avant-propos, l’auteur précise que son livre fait l’objet d’une seconde édition justifiée par l’ampleur et la gravité du problème des violences conjugales ces dernières années, dénoncées par les associations et mises en lumière au travers de la littérature et du cinéma.
Dès 2019, les pouvoirs publics ont manifesté leur préoccupation à l’égard de ce problème sociétal.
Toutefois, l’entrée en vigueur de lois nouvelles ont suscité l’actualisation de ce livre, permettant à l’auteur d’établir que la protection de l’enfant est indissociable de la protection de la mère.
Dans une première partie, l’auteur étudie les réponses législatives et l’évolution de la législation sur les violences conjugales et les enfants victimes.
Dans une deuxième partie, il s’intéresse au rôle du juge dans les cas de violences conjugales et décrit les différents aspects de ces violences, ainsi que leur impact traumatique sur l’enfant.
En premier lieu, l’auteur rappelle que les violences conjugales ayant lieu dans le cadre privé du cercle familial, elles appellent néanmoins l’intervention du judiciaire, procureur de la République, juge pénal ou juge civil.
Ayant lui-même exercé les fonctions de juge des enfants et de juge aux affaires familiales, Edouard DURAND a été témoin de la récurrence de ce phénomène et souligne que dans certains cas, les violences conjugales peuvent être considérées à tort comme des conflits parentaux, allant même jusqu’à assimiler le féminicide à un crime passionnel.
Pour l’auteur, il est d’emblée essentiel de rappeler l’opposition radicale entre l’amour et la violence, celle-ci étant un instrument pour obtenir le pouvoir sur l’autre et lui aliéner toute forme d’autonomie.
Les professionnels peinent à repérer les manifestations des traumatismes que les violences conjugales causent à l’enfant.
Or, les magistrats, thérapeutes, éducateurs doivent apporter une réponse spécifique à chaque situation. Pour le magistrat, il s’agira de s’appuyer sur la preuve des faits allégués, tout en évitant que l’impartialité des juridictions ne profite au parent violent.
Tout le propos du livre est de mettre en lumière la symétrie existant entre l’enfant victime et la mère victime. « Protéger la mère, c’est protéger l’enfant ».
Les violences conjugales perturbent l’équilibre des relations au sein de la famille car le violent conjugal se place en position asymétrique vis-à-vis de la mère et de l’enfant, tous deux en position symétrique de soumission.
On retrouve ces schémas quel que soit le type de famille et dans toutes les cultures.
Dans tous les cas, les violences conjugales doivent être considérées comme un choix unilatéral de leur auteur et non comme une pathologie du lien entre l’auteur et la victime.
Les violences exercées par le père sur la mère sont en même temps une maltraitance de la mère et de l’enfant.
L’auteur passe en revue les moyens légaux assurant la protection des victimes, ainsi que les pistes de réflexion pour la pratique des juges et des travailleurs sociaux.
Dans un premier chapitre, sont rappelés les principes du Droit pénal français en matière de violences conjugales selon lesquels on distingue trois types d’infractions, les contraventions, les délits et les crimes. Les violences conjugales sont soit des délits, soit des crimes.
La législation pénale distingue les violences conjugales de nature criminelle et les violences conjugales de nature délictuelle qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles.
Le Code pénal prévoit aussi la répression des violences conjugales de nature psychologique telles que le harcèlement conjugal pouvant conduire la victime à des tentatives de suicide, l’auteur encourt dans ce cas, une peine de dix ans d’emprisonnement.
Les cyberviolences liées à l’essor des technologies informatiques sont également prises en compte, car elles permettent aux violents conjugaux d’exercer des moyens de contrôle coercitif sur leurs victimes.
Les réponses pénales interviennent sur la base de la plainte des victimes. Toutefois, les faits peuvent être dénoncés aux forces de l’ordre ou au Procureur de la République par le signalement d’un tiers.
L’objectif de la législation actuelle est de privilégier les poursuites de l’auteur de violences conjugales pour qu’il soit jugé, soit par convocation directe, soit par l’ouverture d’une information judiciaire, avec placement sous contrôle judiciaire et assignation à résidence ou mise en détention provisoire.
La comparution immédiate de l’auteur des faits garantit une meilleure sécurité des victimes et particulièrement, des enfants.
(Note crique : Là dessus notre association sait bien que la théorie semble parfaite et que la pratique s’en éloigne malheureusement. Les violences faites aux femmes ne sont pas traitées avec sérieux ni efficacité en France, et le laxisme et de mise.)
L’auteur rappelle que la mère étant l’objet exclusif de l’intention violente, l’enfant ne peut se voir reconnaître le statut de victime au sens pénal. Néanmoins, les traumatismes causés à l’enfant peuvent donner lieu à réparation sous forme de dommages-intérêts et le mineur peut se constituer partie civile lors des poursuites pour violences conjugales.
L’enfant peut aussi être la victime directe des violences du père, s’il s’interpose pour protéger sa mère. L’infraction sera double et l’âge de l’enfant constituera une circonstance aggravante.
Le conjoint violent sera alors poursuivi pour violences conjugales et pour mauvais traitements sur l’enfant.
Dans un deuxième chapitre, l’auteur étudie les cas de violences conjugales conduisant à la séparation des parents.
Le juge aux affaires familiales doit alors statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Pour les couples mariés, les violences conjugales peuvent donner lieu à un divorce aux torts exclusifs du mari.
Le Code Civil prévoit des dispositions spécifiques permettant la mise en œuvre d’une procédure d’urgence d’éviction du conjoint violent avant même la requête en divorce.
Une ordonnance de protection s’étend à tous les couples mariés ou non, ce qui confirme encore la symétrie entre le parent victime des violences et l’enfant, tous deux étant exposés à une situation de danger.
A la fin de la première partie, l’auteur s’intéresse à la protection de l’enfance dans ces situations de violences conjugales et note que la loi du 14 mars 2016 établit que par les violences conjugales l’agresseur met en péril la santé, la sécurité et l’ensemble des besoins fondamentaux de l’enfant.
C’est le droit commun de la protection de l’enfance qui s’applique dans les cas de violences conjugales.
A partir d’un signalement au conseil départemental (aide sociale à l’enfance) et à l’autorité judiciaire, des mesures éducatives sont mises en œuvre pour protéger l’enfant.
Si les parents refusent ces mesures, le conseil départemental adressera un signalement au Procureur de la République en vue de la saisine du juge des enfants.
Celui-ci décidera ensuite d’une assistance éducative ou d’une mesure de placement, conformément aux intérêts de l’enfant.
(Note critique : les dérives judiciaires dès lors que le parent demande à être protégé et à ce que son enfant le soit aussi sont bien connues et dénoncées régulièrement par L’ENFANCE AU CŒUR. Edouard Durant évoque un monde judiciaire parfait, qui malheureusement est bien long à se mettre en place !)
Toutefois, les violences conjugales étant une infraction pénale, la saisine du juge des enfants ne peut se substituer aux poursuites pénales contre leur auteur.
Dans une deuxième partie, l’auteur s’intéresse aux réponses du juge dans les situations de violences conjugales et revient en premier lieu, sur l’impact traumatique de ces violences sur l’enfant.
Il souligne les graves perturbations du comportement de l’enfant exposé aux violences conjugales, se traduisant par des formes aigües d’agressivité, de colère, de dépression.
Les violences conjugales constituent pour l’enfant qui en est témoin avant l’âge de 4 ans, le principal facteur prédictif de troubles du comportement. Elles nuisent à la qualité de l’attachement de l’enfant, qui est un de ses besoins vitaux et compromettent sa capacité d’autonomie et de relation.
La mère étant la principale figure d’attachement de l’enfant, les violences conjugales attaquent la sécurité de l’enfant et du lien mère-enfant.
Leur impact sur l’enfant est donc d’une extrême gravité, pouvant induire un stress post-traumatique et compromettre par la suite, le développement de sa personnalité.
L’auteur s’attache à identifier en premier lieu, les mécanismes de violences conjugales, qui instaurent au sein de la famille un climat de terreur et d’angoisse.
Il insiste sur le nécessaire repérage systématique des violences, évoquant la difficulté à sortir du secret imposé par le violent conjugal.
Ce repérage peut se faire dans les lieux de vie fréquentés par l’enfant ou lors d’une consultation médicale.
L’auteur évoque sa propre expérience professionnelle qui l’a confronté à des cas de violences conjugales révélées au moment du rappel à la loi, lors d’un interrogatoire pénal par exemple.
Il appartient au juge aux affaires familiales de qualifier les faits. Dans le cadre d’un divorce, le juge statuera sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en tenant compte du contexte de violences dans l’aménagement des mesures relatives à l’enfant.
Dans ces situations, l’auteur rappelle la nécessité de distinguer les violences conjugales des conflits parentaux, en mentionnant les quatre principales configurations conjugales : l’entente, l’absence, le conflit et la violence.
Il rappelle que les violences conjugales se distinguent nettement des conflits conjugaux en cela qu’elles sont liées au pouvoir sur l’autre par réduction de la victime au corps, comme le démontre le philosophe allemand Jan Philipp Reemstma.
L’enfant victime de violences conjugales se trouve pris dans un conflit de protection angoissant, ne sachant s’il doit protéger sa mère face à son père ou s’il doit faire appel à l’intervention d’un tiers.
La pratique juridictionnelle met en évidence le grand isolement de la mère soumise à l’emprise de son agresseur. Les relations mère-enfant s’en trouvent entravées car la mère ne peut exercer l’autorité parentale de peur d’aviver les tensions dans le couple.
D’après l’auteur, il est néanmoins délicat de recourir au concept d’aliénation parentale, qui risque de disqualifier la mère et de nuire à l’analyse des situations familiales, pouvant conduire à négliger les maltraitances subies par l’enfant.
L’auteur insiste sur le fait que les fausses dénonciations sont largement résiduelles et qu’un enfant peut légitimement refuser tout contact avec le parent violent.
Il évoque ensuite les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la notion de coparentalité.
Dans le cas de parents séparés, la législation promeut le principe de coparentalité et l’exercice conjoint de l’autorité parentale.
Toutefois, ces principes comportent des risques, ils peuvent nuire à la sécurité de l’enfant attribuant à l’un des parents un nouveau moyen d’emprise.
Les professionnels, magistrats et juges doivent connaitre les traits de personnalité caractéristiques des auteurs de violence conjugale afin de les prendre en compte dans l’attribution de la parentalité.
Les auteurs de violences conjugales présentent des formes d’immaturité, d’instabilité émotionnelle, d’intolérance à la frustation, tout ceci étant nuisible à l’éducation et au développement de l’enfant.
L’auteur évoque ici la figure du pervers narcissique « dont la dangerosité tient à son habileté à détruire la capacité de penser de l’autre ».
Dans les derniers chapitres, l’auteur analyse les situations d’emprise sur l’enfant à travers des mécanismes de chantage affectif, de harcèlement ou de volonté de soumission.
Il insiste sur la grande prudence qui doit présider à l’attribution des modalités d’exercice de l’autorité parentale dans ce type de situations.
Le juge peut parfois recourir au mécanisme de la présomption lorsque les capacités parentales du père auteur des violences conjugales sont mises en doute.
On recourt alors à des expertises psychiatriques, afin de prendre en compte la stratégie de l’agresseur et sa dangerosité.
Le parent violent ne peut se voir attribuer l’exercice de l’autorité parentale et le bénéfice de rencontres avec son enfant qu’en présence d’un tiers.
Pour clore ce chapitre, l’auteur réaffirme fortement que « protéger la mère, c’est protéger l’enfant ». Il cite en exemple les études de Madame Ernestine Ronai, responsable de l’observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint Denis : « Le fait de venir en aide à la mère en la traitant comme une femme en danger permet à l’enfant de reprendre normalement son développement ».
En conclusion, Edouard Durand rappelle qu’en raison de leur gravité et de leur complexité, les situations de violences conjugales doivent être appréhendées avec une grande prudence.
Elles expriment une volonté de puissance de leur auteur sur la mère, laquelle sait protéger son enfant à condition qu’elle soit elle-même protégée.
Bien que ces violences soient essentiellement le fait de l’homme contre sa femme, il est faux de penser que tous les hommes sont violents, ni que tous les pères sont dangereux.
L’auteur conclut en réhabilitant l’image positive de la virilité, à l’opposé des actes de violence et du climat de terreur qu’elles instaurent.
Il rappelle le rôle essentiel du juge et de la Loi, en ce qu’ils garantissent avant toute chose la préservation de la vie humaine contre toutes formes de violences qui, elles, appartiennent au registre de la mort.